Le régime de la copropriété immobilière représente une forme juridique complexe où se conjuguent propriété privative et propriété collective. Encadré principalement par la loi du 10 juillet 1965 et ses décrets d’application, ce statut concerne aujourd’hui plus de 10 millions de logements en France. La copropriété suppose un équilibre délicat entre l’exercice des droits individuels des copropriétaires et le respect des contraintes collectives inhérentes à la vie en communauté. Cette dualité génère un cadre juridique spécifique où chaque propriétaire devient détenteur de prérogatives mais se trouve soumis à des obligations précises, dont la méconnaissance peut engendrer des contentieux nombreux et complexes.
Fondements juridiques et structure de la copropriété
La copropriété repose sur un socle législatif constitué principalement par la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, complétée par le décret n°67-223 du 17 mars 1967. Ce cadre a connu de multiples évolutions avec notamment la loi ALUR de 2014, la loi ELAN de 2018 ou encore la loi du 28 juin 2022 visant à améliorer la gestion des copropriétés. L’immeuble en copropriété se caractérise par une division juridique entre parties privatives, réservées à l’usage exclusif de chaque copropriétaire, et parties communes appartenant indivisément à l’ensemble des copropriétaires.
L’organisation juridique de la copropriété s’articule autour de trois documents essentiels. Le règlement de copropriété constitue la « constitution » de l’immeuble et détermine la destination des parties privatives et communes, les conditions de leur jouissance et les règles relatives à l’administration des parties communes. L’état descriptif de division, généralement annexé au règlement, identifie les lots et leur attribue une quote-part de parties communes exprimée en tantièmes. Ces tantièmes déterminent les droits de vote en assemblée générale et la contribution aux charges. Enfin, le carnet d’entretien recense les informations techniques de l’immeuble et l’historique des travaux.
La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 8 juin 2011 (Civ. 3e, n°10-15.891) que « le règlement de copropriété a nature contractuelle et s’impose à tous les copropriétaires ». Cette nature contractuelle implique que toute modification requiert un vote en assemblée générale, avec des majorités variables selon l’objet de la modification. La jurisprudence a dégagé un principe fondamental selon lequel les clauses du règlement ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public de la loi de 1965.
Les tantièmes de copropriété représentent la quote-part de chaque lot dans la propriété des parties communes. Ils sont calculés en fonction de la superficie, de la consistance et de la situation des lots. La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 décembre 2009 (Civ. 3e, n°08-20.310), a confirmé qu’une répartition manifestement inéquitable peut être révisée judiciairement, même si cette action est encadrée par un délai de prescription de cinq ans à compter de la publication du règlement de copropriété.
Les droits du copropriétaire sur son lot privatif
Le copropriétaire détient sur son lot privatif des prérogatives étendues qui s’apparentent à celles d’un propriétaire classique. Il bénéficie du droit d’usage de son bien, pouvant l’occuper personnellement ou le donner en location. La Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 11 mai 2016 (Civ. 3e, n°15-10.376) que « le copropriétaire peut librement louer son lot, y compris pour une courte durée », sous réserve du respect du règlement de copropriété et des dispositions législatives spécifiques comme celles relatives aux locations touristiques.
Le droit de disposition permet au copropriétaire de vendre son lot, de le donner, de le léguer ou de le grever de droits réels comme une hypothèque. L’article 6 de la loi du 10 juillet 1965 précise que « les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire ». Ce droit de disposition s’exerce néanmoins dans le cadre des contraintes imposées par le règlement de copropriété, notamment concernant la destination de l’immeuble. Ainsi, un local à usage d’habitation ne peut être transformé en commerce si le règlement l’interdit, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juin 2010 (Civ. 3e, n°09-10.361).
Le copropriétaire dispose d’un droit de transformation de son lot, mais celui-ci connaît des limites significatives. L’article 9 de la loi de 1965 lui permet d’effectuer des travaux dans ses parties privatives, à condition de ne pas porter atteinte à la destination de l’immeuble, aux droits des autres copropriétaires ou à la solidité de l’édifice. La jurisprudence a progressivement précisé ces notions. Par exemple, dans un arrêt du 21 janvier 2016 (Civ. 3e, n°14-25.986), la Cour de cassation a jugé que l’installation d’une véranda sur un balcon privatif nécessitait l’autorisation de l’assemblée générale car elle modifiait l’aspect extérieur de l’immeuble.
Les travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble requièrent systématiquement une autorisation préalable de l’assemblée générale, obtenue à la majorité de l’article 25 (majorité des voix de tous les copropriétaires) ou parfois à l’unanimité. Le non-respect de cette obligation peut entraîner une action en démolition des ouvrages irrégulièrement édifiés, comme l’a confirmé la jurisprudence à maintes reprises, notamment dans un arrêt du 19 septembre 2012 (Civ. 3e, n°11-13.679) où la Cour de cassation a ordonné la démolition d’une extension réalisée sans autorisation.
Limites au droit d’usage
Le droit d’usage du copropriétaire connaît des restrictions issues du règlement de copropriété, particulièrement concernant les activités professionnelles. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 mars 2018 (Civ. 3e, n°17-11.985), a validé une clause interdisant l’exercice de toute profession libérale dans un immeuble à destination exclusivement résidentielle. Toutefois, les tribunaux apprécient la conformité de l’activité avec la tranquillité et la destination de l’immeuble, parfois au-delà des stipulations du règlement.
Les droits et obligations relatifs aux parties communes
Les parties communes appartiennent indivisément à l’ensemble des copropriétaires, proportionnellement à leurs tantièmes. L’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 énumère ces parties communes qui comprennent notamment le gros œuvre, les éléments d’équipement commun, les cours et jardins et les locaux des services communs. Cette liste n’est pas exhaustive et le règlement de copropriété peut préciser la qualification des parties de l’immeuble.
Le copropriétaire dispose d’un droit d’usage sur les parties communes conformément à leur destination. Ce droit s’exerce collectivement et ne peut conduire à une appropriation individuelle. La jurisprudence a précisé les contours de ce principe. Dans un arrêt du 5 novembre 2014 (Civ. 3e, n°13-24.451), la Cour de cassation a considéré qu’un copropriétaire ne pouvait s’approprier une partie du palier commun pour y installer un placard, même si cela ne gênait pas la circulation.
Les parties communes à jouissance privative constituent une catégorie particulière. Il s’agit de parties communes (comme un balcon, une terrasse ou un jardin) dont un copropriétaire a l’usage exclusif. L’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2009 (Civ. 3e, n°08-20.433) a clarifié leur régime juridique en précisant que « le droit de jouissance exclusive sur une partie commune n’est pas un droit de propriété mais un droit d’usage ». Ce droit de jouissance exclusive n’autorise pas le copropriétaire à transformer la partie commune sans autorisation de l’assemblée générale.
La conservation de l’immeuble constitue une obligation collective. Les copropriétaires contribuent aux charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes proportionnellement aux tantièmes qu’ils détiennent. L’article 10 de la loi de 1965 établit ce principe de proportionnalité. Le financement des travaux d’entretien et de rénovation s’effectue par le biais du budget voté en assemblée générale et du fonds de travaux rendu obligatoire par la loi ALUR pour les copropriétés de plus de dix lots.
La copropriété doit constituer un fonds de travaux alimenté par une cotisation annuelle obligatoire dont le montant ne peut être inférieur à 5% du budget prévisionnel. Ce fonds, institué par la loi ALUR et renforcé par la loi ELAN, vise à anticiper le financement des travaux futurs. La loi du 28 juin 2022 a encore renforcé ce dispositif en prévoyant l’élaboration d’un plan pluriannuel de travaux pour les copropriétés de plus de 15 ans, sur la base d’un diagnostic technique global.
La gouvernance de la copropriété et les processus décisionnels
Le syndicat des copropriétaires constitue l’organe central de la copropriété. Doté de la personnalité morale, il regroupe obligatoirement tous les copropriétaires et a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes. L’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 lui confère la capacité d’ester en justice, d’acquérir des biens et de conclure des contrats. Le syndicat s’exprime par la voix de l’assemblée générale, organe souverain qui prend toutes les décisions concernant la vie de la copropriété.
L’assemblée générale se réunit au moins une fois par an et prend ses décisions selon différentes règles de majorité. L’article 24 prévoit la majorité simple des voix exprimées pour les décisions courantes comme l’approbation des comptes ou les travaux d’entretien. L’article 25 requiert la majorité absolue (majorité des voix de tous les copropriétaires) pour des décisions plus importantes comme la désignation du syndic ou certains travaux d’amélioration. L’article 26 impose une majorité renforcée (deux tiers des voix) pour les actes de disposition ou la modification du règlement de copropriété. Enfin, certaines décisions comme le changement de destination de l’immeuble nécessitent l’unanimité.
Le syndic représente l’exécutif de la copropriété. Nommé par l’assemblée générale pour une durée maximale de trois ans, il est chargé d’exécuter les décisions de l’assemblée, d’administrer l’immeuble et de représenter le syndicat dans tous les actes civils. L’article 18 de la loi de 1965 énumère ses missions qui comprennent la tenue de la comptabilité, la souscription des assurances, l’entretien courant et la conservation des archives. Le syndic peut être professionnel ou non professionnel (bénévole). La loi ELAN a introduit la possibilité d’un syndic provisoire pour les copropriétés en difficulté.
Le conseil syndical joue un rôle consultatif et de contrôle. Composé de copropriétaires élus par l’assemblée générale, il assiste le syndic et contrôle sa gestion. L’article 21 de la loi de 1965 lui confie la mission de « donner son avis au syndic ou à l’assemblée générale sur toutes questions concernant le syndicat ». Son rôle a été renforcé par les réformes successives, notamment par la loi ELAN qui lui permet de mettre en concurrence plusieurs contrats de syndic et de conclure certains marchés sans autorisation préalable de l’assemblée générale, dans la limite d’un montant fixé par cette dernière.
Les contentieux en copropriété suivent des règles procédurales spécifiques. Les décisions d’assemblée générale peuvent être contestées dans un délai de deux mois à compter de leur notification. L’article 42 de la loi de 1965 précise que « les actions qui ont pour objet de contester les décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification desdites décisions ». Le tribunal judiciaire est compétent pour ces litiges, avec une tentative préalable de conciliation obligatoire devant le conciliateur de justice depuis la loi du 18 novembre 2016.
L’avenir du régime de la copropriété face aux enjeux contemporains
La transition écologique représente un défi majeur pour les copropriétés françaises. Face à un parc immobilier vieillissant et énergivore, la rénovation énergétique devient une nécessité. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a renforcé les obligations en matière de performance énergétique, avec l’interdiction progressive de location des « passoires thermiques » (logements classés F et G) d’ici 2028. Le plan pluriannuel de travaux, rendu obligatoire par la loi du 28 juin 2022 pour les immeubles de plus de 15 ans, vise à faciliter la programmation des rénovations énergétiques.
Les mécanismes financiers se sont adaptés avec la création de dispositifs spécifiques comme MaPrimeRénov’ Copropriété, qui peut financer jusqu’à 25% du montant des travaux d’économie d’énergie. Le tiers-financement, permettant de rembourser les travaux grâce aux économies d’énergie générées, constitue une solution innovante encouragée par les pouvoirs publics. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 septembre 2022 a confirmé que les travaux d’isolation thermique relevaient des dépenses nécessaires à la conservation de l’immeuble, pouvant être votés à la majorité simple de l’article 24.
La numérisation de la gestion des copropriétés s’accélère. La loi ELAN a introduit la possibilité de tenir des assemblées générales par visioconférence et de voter par correspondance, pratiques généralisées pendant la crise sanitaire. Le décret du 2 juillet 2020 a précisé les modalités techniques du vote électronique. Cette dématérialisation facilite la participation des copropriétaires et améliore la transparence de la gestion. La gestion en ligne des documents (convocations, procès-verbaux, comptabilité) devient progressivement la norme, avec l’émergence de plateformes dédiées.
Les copropriétés en difficulté bénéficient désormais d’un arsenal juridique renforcé. La loi ELAN a créé un statut de copropriété en difficulté permettant des mesures d’accompagnement spécifiques. Les procédures d’administration provisoire ont été simplifiées, et le mandataire ad hoc peut intervenir plus précocement. L’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) propose des dispositifs d’aide comme « Habiter Mieux Copropriété » pour les copropriétés fragiles. Le juge peut désormais ordonner la scission d’une copropriété trop grande ou dysfonctionnelle, comme l’a confirmé un arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2021 (Civ. 3e, n°20-17.090).
L’adaptation des règles de gouvernance se poursuit pour répondre aux besoins des copropriétés contemporaines. La loi du 28 juin 2022 a introduit la possibilité de déléguer certaines décisions au conseil syndical pour fluidifier la gestion courante. Le syndic coopératif, forme alternative de gestion où les copropriétaires s’impliquent directement, connaît un regain d’intérêt. Un arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 2020 (Civ. 3e, n°19-18.435) a précisé que le syndic coopératif bénéficie des mêmes prérogatives qu’un syndic classique et peut notamment engager des procédures judiciaires sans autorisation spécifique de l’assemblée générale.
Vers un droit de la copropriété renouvelé
Les évolutions législatives récentes témoignent d’une volonté de moderniser un régime juridique parfois perçu comme complexe et rigide. La simplification des règles de majorité, l’encouragement aux travaux de rénovation énergétique et la numérisation des processus dessinent les contours d’un droit de la copropriété en pleine mutation, cherchant à concilier protection des droits individuels et efficacité de la gestion collective.
